samedi 18 mai 2013

Utiliser les services Google sans Gmail

(par « sans Gmail », j’entends Gmail ou Google Apps)

accounts.google.com/SignUpWithoutGmail

Cas vécu chez Scriptarium : Vous avez une adresse non Gmail (free.fr, hotmail, yahoo…) et vous devez collaborer en ligne sur Google Drive et Google Agenda.

Généralement, on se crée une adresse Gmail qui ne servira qu’à ça et qu’on ne consulte pas.

La limite de ceci, c’est que quand quelqu’un veut partager un document (Drive) ou un événement (Agenda) avec vous, il prendra votre adresse de courrier, celle qu’il connait le mieux et qui se trouve dans son carnet d’adresses (c’est particulièrement vrai s’il ne connait pas votre adresse et qu’il fait confiance au carnet d’adresses, comme on fait pour les téléphones).

La solution : attachez votre compte Google à une adresse non-Gmail. Ainsi, les personnes qui veulent partager avec vous n’auront pas à se souvenir de deux adresses (une de courrier et une de partage).

Créer un compte Google sans Gmail (accounts.google.com/SignUpWithoutGmail)

Et, pour avoir testé, ça marche très bien. Si certaines choses ne fonctionnent pas comme vous le croyiez, alors lisez ce qui suit - sinon, ne vous embêtez pas :)


Ci-dessous à quoi ça ressemble :

Pour Google Agenda…

La notification Google Agenda dans ma messagerie non-Google…
…me renvoie sur un Google Agenda pleinement fonctionnel.

…et pour Google Drive.

La notification Google Drive dans ma messagerie non-Google…
…me renvoie sur un Google Drive pleinement fonctionnel.

Votre nouveau compte

Le profil d’une page Google non Gmail
Le profil d’une page Google Gmail

Pour comparaison, le même avec Gmail : la seule différence, c’est que sur un compte Gmail, vous ne pouvez pas modifier votre adresse mail principale (le numéro de téléphone est un artefact, j’aurai pu le mentionner dans mon profil de test). Sur Gmail, seule l’adresse de récupération peut être modifiée.

Si vous cliquez sur « modifier », vous aurez cette fenêtre
La nouvelle adresse ne peut pas être une adresse Gmail

Attention : si vous changez d’adresse, la nouvelle adresse ne peut pas être une adresse Gmail — si vous décidez un jour de passer à Gmail, vous devrez partager vos anciens documents et événements et votre compte Google+ (oui, vous pouvez avoir un compte Google+ sans adresse Gmail) ne pourra être migré. C’est dommage et ça rappelle l’impossibilité, là encore très dommage, de transférer la propriété d’un document d’un domaine à l’autre (Google perso vers Google Apps, Google Apps vers Google Apps, Google Apps vers Gmail perso).

Google Drive et Google Agenda

Maintenant, passons à l’intégration dans Google Drive et Google Agenda : ça marche ! Mais avec quelques subtilités.

  1. Vous avez une adresse Gmail. Tout fonctionne correctement.
  2. Vous n’avez pas une adresse Gmail et vous n’avez pas de compte Google. Accès limité (Google Drive : lecture seule d’un fichier, pas d’accès à du dossier - que vous ayez reçu une invitation depuis le bouton "Partager" de Google Drive ou un simple lien par mail ; Google Agenda : si vous recevez un mail de notification, vous ne voyez que le contenu du mail et si vous ne recevez pas de tel mail, vous ne savez même pas que l’événement existe).
  3. Vous n’avez pas une adresse Gmail mais vous avez un compte Google sur une adresse Gmail autre que celle par laquelle vous avez reçu le mail. Parfois, ce sera comme le cas 1 et parfois comme le cas 2. C’est le cas le moins clair alors que c’est le cas le plus fréquent :-(
  4. Vous n’avez pas une adresse Gmail mais vous un compte Google associé à cette adresse - vous avez lu cet article et ça vous a donné envie de connecter votre adresse mail à Google, par exemple :-). En ce cas, c’est tout comme 1.
    Google Drive fonctinne parfaitement avec un compte non Gmail
  5. Dernier cas de figure : vous êtes en multi-comptes avec 3 et 4 (votre compte Google que vous n’utilisez pas comme votre adresse de mail et une adresse non Google connectée à Google. En ce cas, le gestionnaire multi-comptes va automatiquement basculer sur votre adresse Gmail, même si vous avez ouvert le lien depuis votre adresse non Google. Bug ou volonté de pousser à passer à Gmail, je l’ignore. Mais je peux vous dire que je n’étais pas loin de penser que ça ne marchait pas du tout ! Ce problème n’advient que dans Google Drive - avec Google Agenda, pas de problème.
    Le compte non Gmail est grisé

C’est compliqué, n’est-ce pas ? En fait, ce qui est compliqué, c’est la gestion de l’existant (vous savez pourquoi Dieu n’a mis que sept jours à créer le monde ? Parce qu’il n’y avait pas d’existant).

Ce que vous devez retenir, c’est que vous pouvez utiliser intégralement les services Google sans renoncer à votre adresse mail.

Et ça, c’est super.

mercredi 8 mai 2013

Jean-Marc Jancovici à l'assemblée

Wow.

(vous pouvez sauter les questions des parlementaires, la vidéo se comprend très bien sans leur questions puisque Jean-Marc Jancovici les reprend quand il répond).


Pour ceux qui veulent un très court résumé :

  • Tout repose sur l’énergie, même ce à quoi on ne pense pas. Et l’énergie, il n’y en a plus assez et il n’y en aura plus assez pendant longtemps. Tout le monde va devoir cracher au bassinet, même les pauvres.
  • Jean-Marc Jancovici fait sauter plein d’idées reçues sur le nucléaire et le renouvelable (sa gestion, plus exactement) et rappelle que la crise n’a rien de politique - tous les pays, quels que soient leur couleurs politiques, sont dans le même bateau. Depuis 40 ans (1974) on fait du saupoudrage.

Ce que m’inspire cette vidéo de Jean-Marc Jancovici (sans ordre de préférence) :

  • j’adore toujours autant (sinon plus) cet homme
  •  »physique forever » - quand on sait manier un marteau tout ressemble à un clou - sauf qu’en l’occurrence, il est convaincant, le bougre - et ça fait peur.
  • Jancovici a ceci de commun avec Lovecraft qu’il est l’un des rares où, dès les premiers mots, je ne peux pas m’arrêter de l’écouter.
  • suis-je le seul qui trouve que sa diction, son parler, ses allusions… ressemblent beaucoup à ce Alexandre Astier ?
  • ça fait plus de cinq ans que je pense que le 11-septembre, c’était une volonté inconscient de l’humanité de marque le coup de l’an 2000. De la même manière, je suis persuadé (et ce depuis bien avant l’année dernière) que de manière tout aussi « irrationnelle », « ésotérique », « ridicule » (rayez les mentions inutiles), nous souhaitons "marquer le coup" du changement de monde des Mayas. Et force est d’avouer que l’effondrement énergétique et le risque existentiel qui en découle est d’une magnitude comparable à un changement de monde, vous ne croyez pas ?
  • une solution possible, ce serait la diminution radicale du nombre d’humains (Georgia Guidestones). Comment ? La solution dure que représente la guerre, ça compte pour peanuts (sauf une guerre nucléaire, qui serait peut-être pire que le mal) et en plus, le lendemain des guerres entraînent une explosion démographique et des politiques non-écologiques - c’est donc contre-productif, malgré les apparences. La solution douce qu’est l’enrichissement de la population et l’allongement radical de la durée de vie (Didier Coeurnelle, Arrêtons de vieillir, 2013) ne vont pas assez vite — problème de timing. Quant à la géoingénierie (Rémi Sussan, octobre 2012), plus ça a des chances de marcher, plus c’est dangereux - et de beaucoup. Il reste une autre solution dure : la pandémie planétaire à base de bactéries multi-résistantes. Bref, la diminution radicale du nombre d’humain, c’est mal barré.
  • après 45 minutes, je me suis vraiment senti proche du pessimisme de Tyrian Dunaédine
  • …heureusement, peu après, je me suis dit qu’on a une solution : l’exploitation minière de l’espace…
  • …sauf qu’il faut encore avoir assez d’énergie sur Terre pour aller la chercher, cette énergie dans l’espace. On pourrait bien se retrouver dans la situation d’un homme sur une île A qui aperçoit une autre île B, luxuriante, au loin, mais qui a cramé les derniers morceaux de bois de sa propre île (île A) pour faire du feu au lieu de les économiser pour fabriquer un radeau. Et s’il était déjà trop tard ? Dennis Meadows: trop tard pour le développement durable).

Timing

P.-S. : je viens de penser à une autre idée : le mind uploading massif (les Virtuels dans Endless Space). Ça réduirait drastiquement les problèmes environnementaux. Hugh Herr propose de résoudre les problèmes de la technologie par davantage de technologie…

P.-P.-S ; ça fait deux fois que Google+ considère que les posts sont des spams. Je suis obligé de ruser. Vivement que j’arrive à valider mon compte (et en plus je pourrais avoir une vanity URL).

vendredi 3 mai 2013

Formidables tornades

Initialement publié le 03 février 2006 à 14:08
Après les mammatocumulus, voici les trombes et tornades.
Début de tornade - le doigt de la vengeance
Impact - Vision d'ensemble d'une tornade en action
Fureur lointaine - Tornade, nuages bleus et foudre
Ravages - notez le contraste entre le cadre idyllique, renforcé par un arc-en-ciel, et le vortex de destruction à l'arrière…
Trombe, avec un phare pour l’échelle
Trombe vue d’avion
Double trombe en formation
Une trombe en arrière plan, un équipage inquiet en avant-plan
Les gars, on a un problème…
Voir aussi la tornade sur un terrain de foot, présentée dans la Vracquerie chez ZeuBeuBeu.
En vérifiant mes référents, je suis tombé sur ce très bon billet, avec entre autres une quadruple tornade (dommage que la photo soit petite) : Les tornades, les trombes, les Dust Devil et les cyclones (disparu depuis).

Formidables mammatus

Après mon billet Formidables cyclones, j’ai eu l’idée de chercher sur Technorati l’étiquette formidable en anglais et j’ai trouvé… un site français (depuis disparu même d'archive.org).
Mais je ne regrette pas : j’ai ainsi découvert les mammatus (ou mammatocumulus, ou encore en français mamma, ce que j'ignorais au moment de la sortie de cet article, le 1 mars 2006 à 17 h 58 min, à ne pas confondre avec des stratocumulus), des nuages à peine croyables (et très rares). Les photos sont effectivement à serrer le cœur. On se croirait dans un Stephen King.
Accessoirement, si vous préparez un bouquin de « fantastique-réel » et avez besoin d’un truc un peu bizarre, ça tombe bien : on ne sait pas très bien comment ils se forment.

Formidables cyclones

Initialement publié le 20 février 2006 à 16:52:38
Des photos de cyclones, trouvées sur Argentine au jour le jour. Toute chose à deux côtés : les cyclones si destructeurs sont pourtant tellement beau.
Rappel : formidable signifie (en anglais comme en français) qui suscite un mélange de crainte et d’admiration.
Sur la seconde image, prêtez bien attention à la taille des maisons. Effrayant, n’est-ce pas ?
Et pour finir, ce n’est pas un cyclone (« juste » un orage), mais ça donne envie de se faire tout petit…
Front orageux sur une ville - Que vaut une ville face à la Nature ?
Cyclone vu depuis l'espace

jeudi 2 mai 2013

Rêver la science

La science est comme le sexe. Parfois, il en sort quelque chose d'utile, mais ce n'est pas la raison pour laquelle nous le faisons. — Richard Feynman

Ça ne fait pas sérieux de le dire, mais la science est plus portée par le rêve que par des considérations pragmatiques. Le plus grand succès de la course à l'espace de la Guerre froide, ce ne fut pas d'aller sur la Lune, mais de faire rêver des générations d'enfants, qui devinrent scientifiques (ou plus récemment, fondateurs d'entreprises spatiales, comme Scaled Composites ou Planetary Resources).

Pie chart with main reason being 'build the iron man suit'
À ce propos, construire l'armure d'Iron Man coûterai à peu près le prix d'un Rafale, à savoir 100 millions – c'est donc tout à fait dans le budget de l'armée.

Projet Hieroglyph

Neil Stephenson (Le Samouraï virtuel) l'a très bien compris avec le projet Hieroglyph. Lors d'une conférence où il se lamentait que la science à perdu son dynamisme, il lui fut rétorqué ceci : C'est vous qui vous êtes relâché. C'est votre faute, à vous les écrivains de science-fiction. En ne décrivant que des scénarios pessimistes, vous ne faites plus rêver les jeunes.

Car c'est bien de ça qu'il s'agit. Un scientifique transforme un rêve en réalité. Un scientifique est inspiré, transporté par des poètes, ses véritables maîtres à penser, les écrivains de science-fiction. Si eux, les inspirateurs, perdent la flamme, que feront les scientifiques ? Des projets ennuyeux à rentabilité immédiate. Et, après un temps, la science s'essoufflera (elle ne s'éteindra pas — la science progressait déjà bien avant que la science-fiction existe).


La réussite d'un projet dépend de la motivation au moins autant que des moyens.

Aujourd'hui, nous avons un sursis, mais juste un sursis, avec Hollywood. La vague actuelle des comics reporte l'essoufflement de la science, mais pour combien de temps ? Déjà, des voix s'élèvent (parfois avec raison) pour critiquer les films basés sur les comics. Bientôt, l'intérêt pour ces films disparaîtra. Quel « relais de rêverie » restera-t-il aux scientifiques ?

Neil Stephenson, choqué (et probablement aussi flatté) de voir l'importance que la SF a pour la science, à donc mis sur pied le projet Hiéroglyph. Son objectif ? Refaire rêver les scientifiques, les motiver à chercher – et à trouver. Le projet Hieroglyph sera un recueil qui sortira en 2014. Les œuvres devront être optimistes et réalistes. no hacker, no hyperspace, no holocaust.

Rêver pour créer

L'esprit humain a besoin de vagabonder pour créer. Non, la science-fiction n'est pas de la sous-littérature. Non, le temps passé à lire de la SF n'est pas du temps gaspillé au lieu de faire des choses sérieuses. Pire encore, comme le montre l'exemple de Wells au XIXe siècle ou l'apologue science-fiction et prospective de Gérard Klein, c'est même en refusant d'être raisonnable qu'apparaissent certaines des plus grandes visions —; saviez-vous que c'est en rêve que Mendeleïev trouva son fameux tableau ?

La sérendépité, cette capacité à découvrir grâce au hasard, aux accidents ou aux maladresses, est largement reconnue et légitimée, mais la science-fiction, elle, est dénigrée ? Certes, ceux qui dénigrent la science-fiction sont rarement des scientifiques eux-mêmes. Ceci ne me rassure qu'un peu, cependant, car ces "non-scientifiques" sont des parents de futurs scientifiques ou des débloqueurs de crédits. Leur rôle est très important.

WipeOut:Quantum

Je terminerai avec WipeOut: Quantum. Avec ce projet, nous sommes exactement à la croisée de l'imagination et de la science.

Wipeout est une série de jeux vidéo de course à bord de véhicule futuristes en lévitation. Le premier opus est sorti en 1995 et a eu un fort impact sur la jeunesse de l'époque (dont votre serviteur). Notamment, il a inspiré des chercheurs qui, aujourd'hui, travaillent sur la lévitation quantique (terme impropre puisque ça marche aussi en suspension). Admirez.


Annexe : Imagination et prospective

H.G Wells a imaginé, dans ses écrits romancés, l'avion, le tank et la bombe atomique. Mais lorsqu'on lui demande de faire un pronostic “sérieux” sur ce qui se passera au milieu du vingtième siècle, il considère que les transports aériens n'ont, en 1902, pas d'avenir, que le tank n'est, en 1901, pas une in­vention raisonnable et, en 1924, qu'il s'écoulera des siècles avant qu'on ne parvienne à appliquer la théorie d'Einstein et à maîtriser la désintégra­tion de l'énergie.

En outre, son esprit se “refuse à conce­voir des sous-marins qui fassent autre chose qu'étouffer leur équipage ou s'échouer au fond de la mer.”

En 1913, au contraire, le père de Sherlock Holmes, Sir Arthur Conan Doyle écrit une nouvelle dans laquelle une nation européenne imaginaire réussit à imposer autour d'elle un blo­cus total à l'aide de sous-marins. Dans le même magazine, la rédaction inter­roge divers experts qui jugent l'histoire parfaitement invraisemblable, ne se­rait-ce que parce qu'elle envisage l'éventualité que les sous-marins tirent sur des navires non armés ! “Rien de tel que les ignorants pour avoir des instincts” écrivait Victor Hugo à son ami Nadar en 1864.

(Bernard Cazes, Histoire des futurs, 1986, cité dans 2100, Récit du prochain siècle, sous la direction de Thierry Gaudin, 1993)

mercredi 1 mai 2013

TVA, revenu de base, robotisation : la transition laborale

Le triptyque de l’économie de demain

Il y a d’ores et déjà trop d’humains par rapport à la quantité de travail nécessaire[note]. Nous sommes entrés dans une phrase de transition laborale[note], où l’offre de travail est structurellement inférieure à la demande de travail ; dit autrement, il y a davantage de demandeurs d’emploi que d’offres d’emploi ; le chômage est de masse et structurel. Cette transition ne prendra fin que quand nous aurons réinventé notre occupation du temps autrement que par le travail. Cette réinvention est déjà en cours, à travers la « civilisation des loisirs », mais elle est encore insuffisante – elle n’arrive pas assez vite par rapport à la vitesse de réduction de l’emploi. Le timing, toujours le timing…

D’où vient ce chômage de masse ?

L’origine du chômage de masse


La démographie — moins d’une personne pour une personne

Comme nous l’avons dit, ce chômage de masse provient d’une part du fait que nous sommes si nombreux que tout le monde n’a pas besoin de travailler ; il est bien connu quand dans une société de vertébrés, il faut moins d’une personne pour pourvoir aux besoins d’une personne ; mis bout à bout, ces « morceaux de personnes » finissent par libérer une personne, puis dix, puis cent, de la nécessité de travailler.

Cependant, ceci est loin d’expliquer l’ampleur du phénomène. Plus importants encore que la démographie sont deux autres facteurs : la hausse de la productivité et l’esclavage.

La productivité — davantage de travail par personne

Le système de l’économie capitaliste a développé la concurrence, un système d’évolution darwinienne appliqué à l’économie — le plus rapide, le moins cher, le plus efficace, le plus proche… celui qui dispose d’un avantage concurrentiel emporte la plus grosse part du gâteau. Obtenir un tel avantage nécessite d’accroitre la productivité. Plusieurs méthodes permettent d’y parvenir : l’organisation scientifique du travail (taylorisme et ses implémentations, le fordisme et le toyotisme), l’ergonomie, les encouragements aux travailleurs… Plusieurs secteurs des activités humaines ont vu leur rendement tripler rien qu’au XXe siècle – même s’il semble que l’explosion de la productivité est derrière nous, conséquence d’un monde plein et fragile.

L’esclavage — moins de personne par travail

La vérité est que la civilisation a besoin d’esclaves. Les Grecs avaient raison. Faute d’esclaves pour accomplir le travail sale, horrible ou inintéressant, la culture et la contemplation deviennent quasiment impossibles. L’esclavage humain est mauvais, peu fiable et démoralisant. C’est de l’esclavage des machines que dépend l’avenir du monde.

Dès homo habilis[note], l’outillage a largement contribué à l’amélioration de la productivité humaine, lui permettant souvent non pas seulement d’améliorer, mais même de rendre possible une activité ou une implantation. Ainsi, avant l’invention de l’habit, bien des territoires étaient trop froids pour l’homme. Avant l’invention de l’écriture (qui nécessite des outils), l’information ne survivait guère au passage du temps et toujours de manière déformée. Et les Révolutions industrielles ont inauguré l’ère de la production de masse.

Les outils les plus perfectionnés que nous ayons, les ordinateurs et les robots (la frontière entre les deux étant plus ténue qu’on le pense) sont dotés d’une qualité que l’on rencontre très rarement dans les outils plus primaires, y compris les machines-outils : l’automatisation. En effet, tout comme un esclave humain, un robot n’a pas besoin, une fois qu’on lui a donné les instructions que quelqu’un soit derrière lui pour lui faire accomplir chaque action. Actuellement, les usines du japonais FANUC Corporation, un leader mondial dans la fabrication de robots industriels, fonctionnent trente jours sans intervention humaine, sans lumière ni air conditionné (Null et Caulfield 2003).

Combien de travailleurs en moins dans une telle usine (même en prenant en compte les techniciens et ingénieurs de maintenance) ? Combien en moins dans le monde entier ? Surtout en prenant en compte qu’un robot ne dors pas, ne mange pas (sauf de l’électricité, mais sous « perfusion »), ne fait pas de pause, demeure de vigilance constante, ne se plaint jamais et ne pose pas les problèmes éthiques de l’esclavage humain.

La persistance de la valeur travail

Ces trois causes, et probablement d’autres, expliquent en grande partie que nous ayons de moins en moins besoin de travailler — et la conquête de l’espace, des océans ou de la virtualiténote, tous des univers hostiles, ne se fera probablement pas sans une intervention massive des robots, ce qui fait que même si le monde n’était plus plein, le chômage de masse ne partirait pas.

Le travail fait partie de notre vie depuis tant de millénaires que nous avons adapté notre société à sa présence. Nous avons rationalisé son existence, nous l’avons justifié. Tout comme la mort, l’acceptation du travail est une rationalisation. Les religions ont sacralisé le travail, le justifiant pour une pomme croquée ou autre pêché originel. Les sociétés honnissent ceux qui ne travaillent pas, les reléguant à des moins-que-rien — ce n’est que depuis peu qu’un engagement associatif est accepté socialement, surtout s’il vient en supplément et non en remplacement d’un travail.

Ainsi, le travail est avec nous depuis si longtemps que nous ne pouvons envisager sa fin. Une part de moi s’y refuse d’ailleurs : en fervent adorateur de l’épreuve du temps, j’ai du mal à imaginer la fin d’un paradigme multimillénaire. Le travail ne disparaitra pas ; en revanche, il pourrait muter considérablement.

Des solutions ?

Changer de paradigme

Le travail est considéré comme la principale source honorable et fiable d’argent. Les gains aux jeux sont par trop exceptionnels, de même que les héritages, les allocations diverses sont vues comme honteuses, car dérivant d’un assistanat. La vie sans argent est très largement minoritaire dans les sociétés industrialisées, étant réservée à des individus isolés dans la campagne et vivant en autosuffisance. Le troc, quant à lui, refait surface pour faire face à une situation de crise, mais il reste une solution « de secours », car il ne peut gérer que des échanges de faible complexité, ne peut que difficilement gérer l’équité des échanges ou même s’étaler sur de grandes quantités de personnes — hormis un retour (pas si invraisemblable que ça) à des structures tribales, le troc ne peut rester que minoritaire.

Depuis quelques années, une proposition prend de plus en plus d’importance : celle du revenu de base.

Le revenu de base

Le revenu de base est un revenu INCONDITIONNEL, versé DÈS LA NAISSANCE et CUMULABLE avec tout autre revenu.

Le revenu de base[note] cherche à découpler travail et rémunération. Il a des origines à la fois philosophiques et économiques.

Au niveau philosophique, il part du constat suivant : la société a le devoir de garantir un niveau de vie décent à sa population ; on ne peut vivre décemment sans argent ; la principale source de revenus qu’est le travail est en train de se tarir ; il faut donc trouver une autre source pérenne de revenus que le travail. Bien sûr, on peut remettre en cause chaque assertion (la société a-t-elle le devoir de garantir un niveau de vie décent aux citoyens ? peut-on vivre sans argent ? comment relancer le travail ?), mais ce n’est pas le sujet ici. Le revenu de base propose de verser à chaque citoyen une somme suffisante pour vivre.

Au niveau économique, le raisonnement est : les différentes aides directes ou indirectes de l’État coûtent déjà beaucoup, soit en numéraire, soit en complexité, soit en mal-être (être considéré comme un assisté) et ses conséquences sur la santé. Le revenu de base ne coûterait pas plus cher que la situation actuelle.

Un point fondamental de ce revenu est son inconditionnalité[note]. Même un enfant y a droit (généralement, il a la moitié de l’argent d’un adulte). La distinction entre actif et non-actif disparait ; un retraité, non-actif gagne autant qu’un adulte (inversement, un mineur actif gagne comme un mineur, pas comme un adulte). Ainsi, une personne dans le besoin y a autant droit qu’une personne riche. On pourrait arguer qu’une personne riche n’en a pas besoin et c’est vrai. Mais le surcoût engendré par l’attribution d’un revenu de base aux riches est largement moins pénalisant que celui qu’entrainerait le stigmate social d’être « un assisté ». Certes, ce point ne disparait pas totalement, car cet argent doit bien venir de quelque part (de ceux qui travaillent beaucoup) ; mais il réduit quand même beaucoup la stigmatisation. L’inconditionnalité réduit grandement l’ostracisation et la complexité, deux facteurs importants de coûts indirects.

Enfin, ce revenu de base est, justement, un revenu de base. C’est-à-dire qu’il est cumulable avec un autre emploi. Cet emploi n’étant pas indispensable mais agréable (l’argent du revenu de base couvre l’indispensable ; un travail en sus permet d’avoir plus d’argent pour faire plus de choses), les négociations à l’embauche prendraient un tout autre tour. Et inversement, les licenciements pourraient être grandement facilités, puisque la personne n’a pas besoin de cet emploi pour vivre. L’Inde envisage de généraliser le revenu de base (cash transfer) à l’ensemble du sous-continent (amis sans l’inconditionnalité). Un pari risqué, vu les nombreuses oppositions qu’il rencontrera. Inutile de vous dire que je place de grands espoirs dans ce système.

Un financement simple et suffisant : la TVA

Une idée pour financer ce revenu est d’utiliser exclusivement la TVA.

Actuellement, les prélèvements sont éclatés dans des myriades d’impôts directs et indirects, avec des brouettées d’exonérations et autres niches fiscales. Les conséquences négatives sont nombreuses : complexité coûteuse tant en terme de calcul et de vérifications (lesquelles nécessitent des salariés juste pour ceci et font que personne ne sait vraiment combien il paiera, source d’anxiété) et nombreuses occasions d’évasion fiscale ; fort coût du salariat ; encouragement à la délocalisation…

Une taxe unique, la TVA (qui serait bien plus élevée qu’actuellement), permet de faciliter le salariat puisqu’il n’y a plus de cotisations patronales ou salariales et de développer un impôt plus juste ; vous ne payez que ce que vous consommez. Les riches consomment beaucoup, donc payent beaucoup ; les pauvres consomment peu donc payent peu[note]. Comme la taxe est payée là où l’on consomme et non là où l’on produit, la tentation de la délocalisation est plus forte. Quant à la critique principale de la TVA, cet « impôt injuste » parce qu’il fait payer aussi cher la baguette de pain à un affamé qu’à un riche, elle est contrée par… le revenu de base !


Les reproches envers ce modèle

Bien évidemment, ceci n’est pas parfait : d’une part, une forte TVA encourage la consommation, ce qui ne peut que déplaire aux opposants de la société de consommation. D’autre part, maints intérêts corporatistes, tous enclins à préserver leurs petits privilèges, se dresseront contre une telle TVA.

D’autre part, on considère ce modèle inapplicable car il nécessiterait une gouvernance mondiale (pourtant, entre un produit produit dans un pays à bas prix des salaires et un pays produit dans un pays à salaire normal mais sans aucune taxe sur la fabrication, il n’est pas sûr qu’on continuer à « acheter étranger »).

Enfin, le concept même de revenu de base hérisse souvent les poils : on considère encore souvent que l’argent doit se mériter, comme si les gens qui gagnent vingt fois plus travaillaient vingt fois plus dur ! Enfin, j’entends beaucoup dire que si les gens ne travaillent pas, ils ne feront rien de la journée, ils seront oisifs, décérébrés… C’est faire peu de cas de l’engagement associatif. On comptabilise trop peu souvent les résultats de ce « travail dissimulé légal » qu’est le bénévolat. On manque de visibilité et du coup, on est soupçonneux

Tentative de conclusion

Le système revenu de base + TVA a à mon sens un énorme avantage : la simplicité. Ma mentalité d’ingénieur m’a appris que plus quelque chose est complexe, plus il est susceptible d’être cassé, détourné, couteux… De plus, l’entrée imminente dans un monde d’esclaves robotiques nécessite de repenser notre rapport au travail, ce qui est d’autant plus difficile que ce modèle existe depuis des milliers d’années.

On peut commencer par remplacer la sacralisation de la valeur « travail » par la sacralisation de la valeur « engagement ». Pour ce faire, comptabiliser la valeur financière de l’engagement associatif (par le procédé de la « comptabilité virtuelle », où charges et dépenses de cet engagement associatif sont équivalents et donc ne changent rien au résultat final) et l’équivalent en argent de la complexité et des risques psychosociaux. Et je terminerai avec cette citation du Le Petit Prince :

Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… » elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J'ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s'écrient : « Comme c'est joli ! »

Entre le moment de la rédaction de cet essai et sa publication, j'ai découvert Robotique, emploi et modèle social, une excellente réflexion qui va dans le même sens que moi. Je vous encourage à le lire, il est très complémentaire !

Le nom « kilogramme » : une fantaisie de l’histoire

Le nom « kilogramme » a été attribué à une unité de base du SI pour des raisons historiques.

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