lundi 10 septembre 2012

Le sentiment « animalitaire »

Initialement publié le 18 juin 2006 à 1 h 28 min

Je n’ai parlé de « l’affaire des ours » sur ce blog. Pour un français exilé en Slovénie, c’est quand même le comble.

Pourtant, j’aurais eu des choses à dire, comme :

  • l’émoi qui a frappé les Slovènes en apprenant que l’on avait mis des morceaux de verre dans la nourriture des ours ;
  • la relation entre le président slovène et « son » ours (Janez Drnovšek fabrique son propre pain et en produit un peu trop pour son usage personnel ; l’excédent, il le met au fond du jardin pour un ours) ;
  • ou tout simplement le fait que les Slovènes vivent très bien avec leurs ours (comme les bergers transylvains avec leurs loups). Il y a environ un mort ou blessé par an, ce qui est tout à fait normal, n’en déplaise à ces citadins bien-pensants (qui d’ailleurs souvent ne trouvent rien à redire à six-mille morts sur la route en un mois — source Sécurité routière).

Bref, j’aurais pu parler de l’ours, même sans rester collé à l’actualité. Je ne l’ai pas fait, surtout par manque de temps. Vous pouvez lire Des élus béarnais s’expriment librement sur l’ours : passionnant !, qui date de février 2006, sur e-slovenie.com.

Un autre son de cloche

Voici cependant ma modeste contribution à tout ceci.

Jean-Pierre Digard, directeur de recherches au CNRS, est ethnologue. Après avoir travaillé sur les sociétés d’éleveurs nomades, il a étudié les relations à l’animal dans les sociétés développées et publié des essais sur cette question, notamment Les Français et leurs animaux (FNAC, Amazon*).

Le bobo écolo

Je vais ainsi pouvoir aborder un autre sujet qui me tient à cœur : l’artificialité d’un certain écologisme. Où l’on voit qu’écologisme et écologie ne riment pas forcément ensemble.

[Défendre la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées] est dans l’air du temps, surtout celui des villes. Aujourd’hui, le citoyen urbain est mu par un sentiment « animalitaire », décalque de l’humanitaire, nourri de culpabilité. Il est omnivore, il mange de la viande. Pour assumer en toute conscience l’abattage de millions d’animaux domestiques – vaches, cochons, volailles –, les citadins modernes ont besoin de porter au pinacle d’autres animaux, dans deux catégories opposées : l’animal familier – chien, chat –, plus choyé que jamais, et, à l’autre extrême, l’animal sauvage. Celui-ci est le parangon de la nature, un animal que l’on croit vierge de l’action humaine, réputée mauvaise. Cette représentation de la nature est majoritaire et donc « politiquement correcte ».

Bergers : le beurre et l’argent du beurre

Plus loin, au sujet des bergers qui se plaignent :

[…] les troupeaux [des éleveurs] sont plus vulnérables à la prédation que ceux d’Italie, d’Espagne ou des Balkans. En France, les éleveurs n’accompagnent pas leur cheptel, ils les laissent sous le contrôle des chiens. C’est là une exception française, récente, en rupture avec toutes les traditions. Or les chiens ne vont pas s’attaquer à des ours, sauf à être poussés à le faire par leur maître.

La vérité, c’est qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Dans l’état actuel des choses, on ne peut pas concilier un mode de vie moderne avec le mode de vie pastoral. Il faut faire un choix. Les bergers s’y refusent et ensuite viennent se plaindre. Si on n’est pas capable de rester plusieurs mois seul ou presque, on ne se fait pas berger. Maintenant, c’est toujours plus facile d’accuser l’autre que de se poser la question de son propre comportement (ceci ne se limite bien sûr pas aux bergers).

Du discernement dans la réintroduction

L’article s’achève sur une demande de discernement : réintroduire une espèce, c’est très délicat.

Les loups, dans les Alpes, ruinent les efforts de réintroduction du mouflon de Corse. […] La coexistence n’est pas toujours possible : il n’y a souvent d’autre choix que de créer des sanctuaires. En Inde, les éleveurs coexistent avec les derniers lions asiatiques qu’ils ont toujours connus. Il en serait différemment s’il s’agissait de les réintroduire. Il faut protéger les espèces avec discernement. Mais la « liste rouge » des espèces menacées impose une même protection urbi et orbi. Ainsi, une espèce protégée devient une nuisance en puissance. Tel le cormoran, une plaie pour la pisciculture en Île-de-France.

Conclusion

Cet article, paru dans Libération du 6 mai 2006 (où l’on retrouve d’autres articles de la même qualité), tranche avec les simplifications médiatico-démagogiques politiquement correctes que l’on entend (sans oublier l’obligatoire manichéisme : à ma droite, le gentil, à ma gauche, le méchant). Ce n’est à mon sens pas un hasard que cet article émane d’un scientifique. Je signale cependant une imprécision dans l’article de l’auteur :

La démographie [de la France] n’a rien à voir avec celle de la Slovénie d’aujourd’hui, ni même avec celle des Pyrénées d’autrefois. En Haute-Garonne, on compte 170 habitants par km². Au début du siècle, c’était 100. Et en Slovénie, à présent, 10.

En vérité, les densités de population de la Slovénie et de la France sont comparables (la Slovénie étant juste un peu moins densément peuplée). Rendez-vous donc au canton de Saint-Béat, avec 18 hab./km²…

Mais ceci n’enlève rien à la pertinence de l’article dans son ensemble. Donc, pour conclure, prenons exemple sur la SlovénieȂ!

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